L'usine à diamants d'Arras-en-Lavedan
ou la plus belle escroquerie du XXe siècle !
Quelques cartes postales anciennes montrent un endroit insolite du Val d'Azun (près
d'Argelès-Gazost) : l'usine à diamants d'Arras-en-Lavedan. Ce sont les dernières
traces d'une histoire extraordinaire et authentique qui a fait sensation au début
du XXe siècle. Notre site se propose de vous raconter cette histoire incroyable,
que peu de gens connaissent...
Tout d'abord faisons connaissance avec le héros de cette histoire : Henri Lemoine.
Lemoine, fils d'une excellente famille (son père fut consul de France à Trieste),
commença très tôt une carrière d'escroc. A 15 ans, il vendait déjà des parts de sociétés
inexistantes. Mis à la porte de chez ses parents, il fréquenta les salles de jeux
et abusa à plusieurs reprises de la crédulité des touristes. Lemoine exerca dans
les foires, avec un certain talent, le métier d'illusionniste. Au début de l'histoire
qui nous intéresse, Henri Lemoine vient de sortir de prison.
En janvier 1905, Henri Lemoine rencontre à Londres un diamantiaire (Henry Feldenheimer)
et lui présente des diamants. Ce dernier déclare ces diamants « parfaits, absolument
parfaits ». Lemoine lui dévoile que ce ne sont que des imitations qu'il a lui-même
fabriquées. Interloqué, le diamantaire en parle à Sir Julius Werhner, représentant
du groupe De Beers qui détient le monopole des mines de diamants d'Afrique-du-Sud.
L'heure est grave, la nouvelle de la découverte de la fabrication de diamants par
ce chimiste français ne doit pas s'ébruiter, le marché du diamant court à la ruine.
Avant de décider quoi que ce soit, le diamantaire ainsi que Werhner et trois autres
collaborateurs (dont Francis Oates) souhaitent assister à l'expérience de la fabrication
de diamants.
Nos cinq hommes se rendent à Paris, dans une maison proche du boulevard Saint-Michel,
dans le soi-disant laboratoire de Lemoine. Lemoine met de la poudre dans une coupelle,
l'introduit dans un four et la retire une demi-heure plus tard dans une fumée impressionnante
et un grand vacarme. Tout le monde est stupéfait : « Un diamant, un gros ! ». Lemoine
renouvelle avec succès l'expérience : d'autres diamants sortent du four : « Incroyable
! Véritablement incroyable ! ». Après expertise des diamants, le groupe De Beers,
affolé, souhaite se lier au plus vite avec le génial inventeur et propose 10 000
livres en échange de la formule.
Lemoine refuse dans un premier temps. Son idée de départ était de livrer à la presse
le protocole d'accord entre De Beers et lui-même, ce qui aurait entraîné un effondrement
des cours. Puis, il pensait acheter les actions De Beers au plus bas avant d'annoncer
que ses expériences chimiques ne donnaient pas de bons résultats. Seul hic, Lemoine
ne trouva pas de concours financier pour l'aider, aussi il changea son plan. Contre
les 10 000 livres, Lemoine place sa soi-disant formule dans un coffre à la banque.
Ainsi personne ne pourra en prendre connaissance de son vivant. De Beers accepte
et l'enveloppe est déposée à la banque Smith Ldt. Lemoine ne s'arrête pas là et propose
de poursuivre ses expériences en secret de fabrication de diamants industriels. Pour
cela, il a besoin d'argent pour l'achat d'un terrain et pour la construction d'une
usine. De Beers verse immédiatement un compte de 1 million. De Beers reçoit des plans
et des photos de l'usine d'Arras-en-Lavedan avec la complicité de l'avocat tarbais
Georges Dazet. Henri Lemoine se permet même plusieurs fois de demander des fonds
supplémentaires. Francis Oates, administrateur à la De Beers, qui a assité aux expériences
soupçonne au bout de quelque temps une supercherie. Il décide Sir Werhner à entreprendre
le voyage avec lui jusqu'à Argelès-Gazost pour visiter l'usine. Dès leur arrivée
en France, les deux hommes gagnent Argelès où les habitants furent incapables de
les renseigner. Ils se rendent à la gendarmerie d'Argelès et montrent des photos
de l'usine. Les gendarmes leur disent que la construction n'est pas à Argelès, mais
dans un village proche : Arras-en-Lavedan. C'est une centrale électrique qui fournit
du courant à tous les villages des environs ! Oates et Werhner prennent le train
immédiatement pour Paris et déposent une plainte à la Sûreté Nationale.
Lemoine fut alors démasqué et déféré devant la Justice en 1909. Malgré une enquête
poussée, l'argent versé par De Beers ne fut jamais retrouvé et Mme Lemoine (avec
laquelle il avait malicieusement divorcé) restait introuvable. Lemoine fut défendu
par un des meilleurs avocats, qui demanda même un nouveau versement de 450 000 francs
pour la poursuite des travaux. Le public se prit de sympathie pour Lemoine qui devint
une vraie célébrité. Quand la Justice française demanda à voir la formule déposée
à la banque, on put lire : « Il est très difficile de fabriquer des diamants. Vous
pouvez quand même essayer en cristallisant du carbone que vous soumettrez à la chaleur
et à la pression voulues. »
Au tribunal, Lemoine (à gauche) et Werhner (à droite).
Ce résumé des travaux ne constituait pas une escroquerie et Lemoine fut simplement
condamné à une peine de six ans pour l'extorsion de fonds. Prisonnier modèle, Lemoine
fut libéré rapidement et disparut peu de jours après. La police ne retrouva jamais
sa trace... ni celle des millions soustraits à la De Beers ! M et Mme Lemoine profitèrent
longtemps de tout cet argent dans un pays d'Amérique du sud et ne furent plus jamais
inquiétés (Tout cela n'est pas très moral, il faut bien l'avouer...). L'affaire Lemoine
fit même l'objet d'un exercice littéraire de la part de Proust où il raconte des
épisodes de cette affaire en imitant le style d'un certain nombre d'écrivains (Balzac,
Flaubert, ...). Cette escroquerie est entrée dans la légende. Mais l'histoire n'a
pas retenu le lieu d'Arras-en-Lavedan (que certains ont confondu avec Arras dans
le Pas-de-Calais). De même, la commune d'Argelès a aussi été confondue avec Argeliers
(dans l'Aude).
« L'usine à diamants » à Arras-en-Lavedan telle qu'on pouvait la voir en 2008. C'est
un des bâtiments de la centrale hydro-électrique de Nouaux, au bord du Gave d'Azun,
en contrebas du village d'Arras.
Notre site a retrouvé un célèbre journal de l'époque (début 1908) : L'Illustration.
Le journaliste présente le « Problème du Diamant » sous différents aspects. En voici
quelques extraits :
Un autre journal de janvier 1908 : Le Monde Illustré :