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Le Rouge et le Noir

à Bagnères-de-Bigorre

Publié en 1830, Le Rouge et le Noir de Stendhal est un chef-d'œuvre de la littérature française, considéré par beaucoup comme le plus beau roman. On cite souvent l'affaire Berthet (du nom d'une affaire criminelle ayant eu lieu en Isère) comme source principale d'inspiration pour Stendhal. Stendhal est originaire de Grenoble. Ce n'est pas l'exacte vérité. C'est une affaire ayant eu lieu à Bagnères-de-Bigorre (dite affaire Lafargue) qui a le plus inspiré Stendhal, notamment pour le personnage de Julien Sorel.

Pourquoi affirmer cela ?  


L'année précédant la parution du Rouge et le Noir, Stendhal publie « Promenades dans Rome » en 1829 : un livre épais sur ses voyages en Italie. Et en plein milieu du livre, sans rapport avec l'Italie, nous découvrons que Stendhal rend compte d'une affaire ayant défrayé la chronique. Pendant une dizaine de pages, Stendhal décrit un procès aux Assises des Hautes-Pyrénées (Tarbes). Le titre du chapitre est sans équivoque : « Amour dans les classes inférieures ».

Extrait de « Promenades dans Rome » de Stendhal (1829).

Ce n'est pas tout. Un spécialiste de Stendhal, Claude Liprandi, s'est penché sur la question dans un ouvrage intitulé « Au cœur du Rouge - L'Affaire Lafargue et le Rouge et le Noir ». Le livre, édité en Suisse, n'a été tiré qu'à 1000 exemplaires et c'est bien dommage. Il nous a fallu beaucoup de persévérance pour nous procurer cet ouvrage...  Liprandi a méticuleusement enquêté à Bagnères, à Tarbes, aux Archives, au Tribunal.

Sa conclusion est claire et précise :

« 1- Dans l'année 1828, Stendhal a la connaissance de l'affaire Berthet ; elle lui donne le sujet de son roman. Il s'agit d'une simple idée.

2- Au début d'avril 1829, Stendhal a connaissance de l'affaire Lafargue. Elle provoque en lui une crise d'enthousiasme. Lafargue, tel qu'il l'aperçoit grâce aux chroniqueurs de la "Gazette" et du "Courrier", est un personnage stendhalien et non pas un être falot comme le pauvre Berthet. Surtout, Lafargue a le mérite de pouvoir passer pour le symbole d'une classe sociale ». Remarquablement écrit, le livre de Liprandi est passionnant. Non seulement pour ce qu'il nous apprend de Lafargue dans les moindres détails, mais c'est certainement le livre décrivant le mieux Bagnères en 1820 jamais publié.

Comme il est difficile de parler du Rouge et le Noir (il vaut mieux le lire), il est également difficile de résumer les travaux de Liprandi (368 pages). Nous nous contenterons d’évoquer en photos les lieux bagnérais de cette affaire Lafargue, sans préciser d’adresse exacte pour ne pas importuner les propriétaires des bâtiments :

Place Jubinal, Lafargue acheta deux pistolets.

Changeant fréquemment de logement, Adrien Lafargue trouve un nouveau logement en septembre 1828. C'est là qu'il fait la connaissance de Thérèse Loncan, fille de la propriétaire. Thérèse, jeune femme mariée mais abandonnée par son mari, fit tout pour séduire le jeune homme qui ne résista pas. Puis peu à peu Thérèse s'éloigna de Lafargue. Adrien Lafargue, orgueilleux et violent, ne supporta pas la rupture. Il vint acheter deux pistolets chez un armurier Place Jubinal (photo ci-dessus) et décida de tuer Thérèse puis de se suicider.

Le logement de Thérèse était situé Boulevard Carnot (photo ci-dessus). C'est là que survint le drame. Le 20 janvier 1829 vers midi, Thérèse revient de la fête de Montgaillard où sa mère l'avait envoyée le 17 janvier, sans doute pour l'éloigner de Lafargue. Lafargue surveillait les allées et venues de Thérèse depuis le cabaret « Bon-Soir » situé juste en face. Ce n'est que le 21 janvier qu'il put pénétrer dans la maison :


« Il voit la veuve (mère de Thérèse) sortir de la maison. Aussitôt il traverse la rue, avec ses pistolets dans les poches et pénètre dans la maison Jeanto. »

« En montant l'escalier, j'en armais un ; je le cachais derrière moi. J'entrais dans la chambre. Je tenais le pistolet caché parce que si elle m'avait promis de m'écouter je ne lui aurais pas laissé voir. J'étais poussé par une force irrésistible. Elle s'approcha de la fenêtre pour crier. je lui lâchais un coup de pistolet. Je la manquai et la balle passa par la croisée. »

Lafargue utilisa le deuxième pistolet. Il la tua après avoir dit « Thérèse, tourne-toi ». « Thérèse abattue, mais se trouvant désarmé, Lafargue resta un moment embarrassé. Puis il tire d'une poche de son gilet le petit paquet de poudre qui lui restait. N'ayant plus de balles, il met dans le canon un vieux morceau de fer qu'il trouva dans le vaisselier. » Mais au moment de se suicider, Lafargue veut s'assurer que Thérèse est bien morte et lui tranche la gorge car « il ne voulait pas qu'elle lui survécut ». Reprenant ensuite son pistolet, Lafargue n'observe pas que le morceau de fer s'est échappé du pistolet. Il porte enfin le pistolet à sa bouche et fait feu. il ne sera que blessé.

Adrien Lafargue sera enfermé dans la prison de Mauhourat, en face des Grands thermes (inaugurés en 1828 - photo ci-dessus). Bien défendu par son avocat, il sera condamné à 5 ans de prison. Cette affaire n’est pas très morale ; ce sont les journalistes de l’époque qui ont fait de Lafargue un héros romantique.

L'affaire Lafargue est la source principale du « Rouge et le Noir ». Elle est en tout cas au moins aussi digne d'étude et aussi importante à connaître que l'affaire Berthet.

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photo extraite de l'ouvrage de Liprandi.


Adrien Lafargue, originaire des Landes, arrive à Bagnères en avril 1827 « pour y prendre les eaux » ; « il s'y plut et y resta ». Ebéniste, modeste et bon travailleur, Lafargue se révèle un excellent ouvrier. La seule trace qu'il nous reste de son passage à Bagnères est un escalier, rue des Pyrénées. (photo ci-dessus).

Le lieu du drame  est un des bâtiments du Boulevard Carnot.