« Un seigneur de Couhitte, vicomte d'Arbouix, s'était adonné à la science de la magie
noire. Disciple de Nicolas Flanel et son école, il cherchait lui-aussi la fameuse
pierre philosophale, l'élixir de longue vie, étudiait la transmutation des métaux
pour obtenir de l'or. Son château de Couhitte était devenu un laboratoire de l'enfer
; jour et nuit y bouillaient, se distillaient plantes magiques, alliages imprévus.
De ses hautes fenêtres ouvertes sur le Gézat, sur Beaucens, s'élevaient des lueurs
effrayantes, des tourbillons de soufre, des éclairs...Les habitants du coin ne passaient
plus à son ombre qu'en se signant, convaincus du pacte signé entre le seigneur et
l'Esprit du mal. Un traité infamant avait été passé entre eux, écrit sur une feuille
arrachée à un missel, paraphé de sang... Par ses conventions, le vicomte aurait enfin
la gloire, les richesses ; il serait plus puissant que les comtes et les rois, le
jour où ... le diable le lui demanderait. Par une jolie matinée d'été, Le vicomte
avait dû abandonner ses fourneaux at alambics. Il avait passé Vielle, puis Préchac,
il allait franchir le gave sur sa fragile passerelle, ce pont antique qui serait
emporté en 1760 par une crue. Le pont était étroit, exigu, branlant : deux hommes
n'y pouvaient passer de front. C'était un lieu maudit où les pauvres habitants qui
se rendaient au marché d'Argelès étaient dépouillés, parfois noyés. Le vicomte, se
sentant invulnérable grâce au pacte passé avec le diable, n'était nullement apeuré
; il s'engagea sur le pont. Au milieu de la passerelle, seul, pas entravé, un âne
semblait attendre, l'air inoffensif, candide, comme ses pareils. « Je n'aurai qu'à
le pousser pour passer », se dit le vicomte. Mais en s'approchant, cet âne semblait
de taille énorme, rouge de poil, avec des yeux flamboyants, des cornes dressées entre
les oreilles... L'âne se précipita sur le vicomte et le jeta à terre. « Tu ne m'attendais
pas aujourd'hui. C'est maintenant que doit s'exécuter notre pacte ! Tu ne l'as donc
pas compris, toi qui crois commander les éléments ? Tu vas mourir, oui, mourir ;
ce n'est qu'ensuite que je tiendrai mes promesses ! Tu es à moi, ta signature t'a
livré à ma puissance ! ». L'âne se saisit de sa victime, le balança au-dessus du
parapet avant de le lancer dans le gave bouillonnant. Le vicomte eut juste le temps
de dégager son bras droit et se signa « In nomine Patris, et Filii, et Spiritus Sancti... ».
Instantanément, l'esprit infernal s'évapora et disparut en fumée de soufre immonde.
Le vicomte se releva, s'empressa de remercier son Créateur. Il avait compris à quoi
il s'exposait avec ses sorcelleries et de retour à Couhitte, il brisa ses cornues,
ses alambics, brûla ses parchemins infernaux et, désormais, vécut en paix avec sa
conscience sans souhaiter autre bonheur que celui de la Vie Eternelle. »
Le « manoir de Cohitte », commune de Beaucens, est aujourd'hui classé aux Monuments
Historiques. C'est une propriété privée. Voici la notice des Monuments Historiques
: « Construction en 1692. Bien que des mentions d'un seigneur de Cohitte apparaissent
depuis le 12e siècle, la seigneurie n'apparaït pas dans la grande enquête de l'année
1300 ordonnée par Philippe le Bel qui tenait alors la Bigorre séquestrée dans ses
mains. Cependant, deux documents nous en révèlent l'existence au 15e siècle. Il s'agit
tout d'abord d'un hommage du 16 juillet 1445 rendu au château de Beaucens, à Ramon-Gassie
VII, vicomte de Labéda par Arnaout, seigneur de Cohitte. En second lieu, un ordre
de service militaire donné en 1483 par le même Ramon-Gassie VII à noble Bertran,
seigneur de Cohitte. Ramon-Gassie XII était suzerain sans doute comme vicomte de
Labéda car les vicomtes ne possédèrent Beaucens qu'à partir de 1410 et que le fief
de Cohitte constituant en fait une enclave, ne fut véritablement constitué que par
démembrement de la seigneurie. Les auteurs qui se sont attachés à retracer la suite
des détenteurs de la seigneurie en soulignent la grande difficulté. Un hommage de
1600 en fait la description suivante : "à haute estaige bastie" intégrant dans sa
basse-cour, une tour, une petite église et un moulin. En 1692-1693, Bernard d'Estrade
entreprend une importante campagne de réfection avec surélévation du "toit en pavillon",
percement d'une porte d'entrée armoriée et deux escaliers dont un "en lanterne, à
balustre en noyer" dans l'aplomb et au-dessus de la porte principale. La physionomie
qui nous parvient aujourd'hui relève à l'évidence de cette campagne de travaux menée
au 17e siècle. Le rendu est fort modeste mais possède tous les traits en réduction
du domaine fortifié, à savoir, position dominante, tours d'angles faiblement percées,
barbacanes, lucarnes de surveillance, murailles en gros appareil. L'utilisation récente
de la demeure a su lui conserver cette force d'évocation qu'aucun environnement suspect
n'est venu altérer. Le logis est entouré de bâtiments ordonnancés dans une vocation
agricole et le plan de la demeure répond à la sobriété des extérieurs. »